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Kalina Bertin: pour ne pas perdre la tête

Vendredi, 2 février 2018

Projeté en première mondiale à au festival Hot Docs, puis au festival de Brooklyn - où il a remporté le Spirit Award du meilleur documentaire - Manic, premier long métrage documentaire écrit et réalisé par Kalina Bertin sort en salle aujourd'hui 2 février. Le film sera à l’affiche à Montréal à la Cinémathèque québécoise et à Québec dès le 9 février au Cinéma Le Clap. Plusieurs séances auront lieu en présence de la cinéaste pour des discussions avec le public après les projections.

Documentaire intimiste d’une grande force émotionnelle, Manic est une entreprise de reconstruction dans laquelle Kalina Bertin et toute sa famille tente de surmonter la maladie par le biais du cinéma. Dotée d’une dimension aussi individuelle que collective, Manic est une oeuvre thérapeutique cherchant dans le passé - la vie troublée d’un père absent - les origines de la difficulté de vivre pleinement sa vie au présent. Nous avons rencontré la cinéaste Kalina Bertin pour qu’elle nous présente ce projet très personnel, presque vital.

Tout d’abord Kalina, peux-tu commencer par nous parler de la genèse du film?

Manic un projet très personnel. J’ai grandi avec mon père dans les Caraïbes, jusqu’à l’âge de six quand il nous a quittés. Ma mère nous a amené avec elle à Montréal et on a fait toute notre vie ici. Malgré tout, je suis toujours resté hanté par la présence de mon père. C’est quelque un qui m’avait marqué. Il avait une présence très importante. Durant mon adolescence, j’ai voulu en savoir plus sur lui, mais ma mère ne répondait pas vraiment à mes interrogations. Alors, un jour, tandis qu’elle était sortie, j’ai fouillé dans des papiers de famille et j’ai découvert des coupures de journaux qui mentionnaient qu’il avait été à la tête d’une secte dans les années 70 à Hawaï. Donc mon parcours à commencé à ce moment-là quand j’avais 15 ans et que j’ai subitement découvert cet aspect de la vie de mon père dont je n’avais aucune connaissance.

Plus tard, j’ai fait mon bac en cinéma avec à l’esprit l’idée d’un jour pouvoir faire un film pour retracer la vie de mon père et comprendre qui il était. Quand j’ai fini mes études, ma sœur a eu sa première psychose. Cet événement a été un déclencheur. Je me suis demandé si ça venait de mon père, est-ce que lui aussi n’était pas en proie avec des problèmes de maladie mentale ? Mon frère aussi souffrait depuis quelques années de troubles bipolaires. Donc je me suis dit que le meilleur moyen de comprendre c'est de retourner dans le passé et canaliser la recherche dans un projet documentaire créatif… pour ne pas perdre la tête moi-même!

C’est sans conteste un sujet difficile à traiter, presque « casse-gueule ». C’était une urgence de traiter de ce sujet comme premier film?

Oui, c’était un besoin. Je voyais que ma sœur était en train de devenir une autre personne. Il fallait que je prenne la caméra pour capturer ce qui se passait à ce moment-là de notre vie. Je n’avais pas envie de me trouver un emploi et attendre pour faire le film. Je sentais que j’avais l’énergie nécessaire en moi pour me lancer dans cette entreprise-là. Et j’avais aussi des études en cinéma qui me rassuraient sur ma capacité à me lancer. Je savais que si je ne le faisais pas immédiatement je ne le ferais peut-être jamais. Aussi, je savais que certaines personnes qui étaient proches de mon père commençaient à avancer en âge et je voilais être certaine de les retrouver avant qu’il ne soit trop tard. Au total, il aura fallu quatre ans pour le faire. Le processus de montage a été complexe.

Tu prends une approche très intime… est-ce que ce processus t’a apaisé?

Oui, certainement. Le processus a été très douloureux, mais depuis, il a eu une certaine vie [plusieurs festivals à son actif, dont les RIDM, NDLR]. J’ai eu le temps de décanter. Tu sais, on espère que ça va avoir un effet thérapeutique sur soi, sur sa famille, mais on ne le sait pas vraiment avant. Mais dans mon cas, oui. Je suis encore plus près de ma famille, j’ai une belle relation. Ensemble, on a réussi à mettre en lumière cette maladie qui nous hantait et même si je n’aurais jamais toutes les réponses par rapport à mon père, j’en sais assez pour mettre ça sur la tablette et faire ma vie moi-même.

Tu as bien entendu montré le résultat final à tes proches. Comment ton film a-t-il été reçu?

Il a vraiment fallu qu’entre eux et moi on ait une entente. Je voulais qu’il me fasse confiance pour pouvoir filmer dans des moments de crise. Je voulais pouvoir montrer ce qu’était un épisode de manie à la maison. Souvent on voit ça dans un contexte d’hôpital, les gens en parle en rétrospective… moi je voulais vraiment montrer ça au quotidien. Pour en arriver là, il fallait leur promettre qu’on allait s’asseoir ensemble, qu’ils pourraient voir le film et justement avoir le « feed-back ». On s’était mis d’accord que s’il y avait des choses avec lesquelles ils n’étaient pas d’accord, on le retirerait. Ça m’a permis d’avoir leur appui durant le tournage. Au final, quand ils ont vu le film, ils étaient d’accord et ne voulaient rien changer. Ils étaient fiers. Ca leur a donné une nouvelle perspective sur ce qu’ils vivaient.

Le film a eu un impact sur eux?

Oui absolument. Quand ma sœur a vu le film pour la première fois, elle était encore très instable avec des hauts et des bas. Mais quand elle a vu le film fini, elle a vu l’impact de sa vie sur celle de sa petite fille et ça lui a donné l’envie de trouver une façon de guérir pour ne pas faire subir ça à sa fille. Elle a aussi vu le cycle de ce que mon père en vécu et nous avait fait subir. Un vrai cercle vicieux. Elle voulait vraiment de mettre fin à tout ça. Maintenant, elle va très très très bien. C’est incroyable. Pour  mon frère aussi le film a une importance capitale. Pour eux, ça a enlevé le côté « glamour » de la psychose en leur montrant comment elle affectait leur famille. Et en plus on a tous appris sur notre père.

Le film a été projeté aux RIDM récemment et dans de nombreux festivals. Est ce-que tu t’attendais à une telle réception?

Je n’avais aucune idée. Auparavant, j’avais vu des documentaires qui avaient réussi à toucher le public et à obtenir une résonnance auprès de gens qui avaient des problèmes concrets. Donc je me suis dit que si Manic pouvait être une représentation personnelle applicable pour d’autres, ma mission serait accomplie. Durant le tournage, il ne faut pas trop penser au spectateur et ne pas avoir trop d’attentes car il est important de ne pas se dissocier de l’objectif du film qui reste une quête intime, très personnelle… Donc, non, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. C’est vrai aussi que durant le montage, on montrait notre travail à des gens qui ne nous connaissent pas, et on avait déjà une bonne impression de son impact. Quand on a été à Hot Docs, en première mondiale, on a eu des salles combles. Les gens faisaient la file pour venir me parler à la fin de la projection et me remercier. Ça a été très touchant de voir à quel point le film peut avoir aidé d’autres personnes dans le même cas que moi.

 

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MANIC écrit et réalisé par Kalina Bertin - Long métrage documentaire, 86 minutes, 2017, Québec, Canada | Version originale en français et en anglais avec sous-titres français et anglais | Direction photo : Kalina Bertin | Montage : Anouk Deschênes | Conception sonore : Cory Rizos, Kyle Stanfield | Musique : Octavio Torija Alavrez | Productrices : Marina Serrao, Kalina Bertin | Producteurs exécutifs : Bob Moore, Mila Aung-Thwin, Daniel Cross | Production : EyeSteelFilm | Distribution : EyeSteelFilm Distribution

 

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