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Rencontre avec Denis Côté

Vendredi, 15 février 2019

On parle beaucoup ces jours-ci du onzième long métrage de Denis Côté, Répertoire des villes disparues, une œuvre sans pareil qui propose un regard mi-amusé mi-horrifique sur quelques-unes des peurs de notre société, à commencer par notre rapport à l’Autre. À l’occasion de la sortie en salle du film, nous vous proposons quelques extraits de notre rencontre avec le cinéaste, réalisée juste avant qu’il ne s’envole avec son équipe pour présenter son film à Berlin.

Tout d’abord, est-ce que tu peux nous parler de ta rencontre avec la nouvelle et du déclic qui t'as fait dire que ça pourrait être un film de Denis Côté?

Une amie auteure m’a conseillé de lire la nouvelle de Laurence Olivier. Il se trouve que j’ai adoré le titre. C’est une superbe poésie éclatée. Évidemment, je ne commence pas à lire des choses en pendant à en faire un film, en plus, il n’y a pas de film dans cette poésie-là… mais, je me laisse aller et, quand même, je me dit qu’il y a un fil narratif, du visuel, du son... J'ai carrément pris le projet comme un défi. Est-ce que je pouvais sortir un film de ça? J'ai dit à Laurence que je ne garderais peut-être que 5% de son texte. J’ai imaginé l’hiver, les revenants, la figure d’autorité… Je lui ai proposé ça, elle était très honorée, heureuse que je conserve l’esprit qu’elle souhaitait faire passer dans son roman.

Justement, qu’as-tu gardé de la nouvelle de Laurence Olivier?

J’ai gardé la famille Dubé, des gens qui dans le roman n’ont pas de prénom, j'ai gardé un accident de voiture, un party du jour de l’an, et le reste ce ne sont que des bribes qui ne mènent à rien, le travail sur le deuil… et à peu près sept lignes de dialogues, tirées de la soirée du jour de l’an… Pour parler de l’inspiration, j’avais pris des notes sur ce que je voulais aborder dans les derniers mois… J’avais été très touché par la folie qui avait entouré l'arrivée à la frontière d'une poignée d’Haïtiens, la panique que cela avait généré. Je n’étais pas très fier de mes concitoyens quand j’ai vu ça. Je me suis demandé si on pouvait parler de ça, le racisme, le confort qui nous rend peureux pour à peu près tout. Donc, j’avais ces notes dans une main, j’avais le livre dans l'autre, et j'avais aussi les demandes de gens qui me disaient que je serais bon à faire un film de genre… finalement je me suis sauvé du film d’horreur pour ressembler plus à « pre-pre-prequel » des Affamés… tous ces éléments se sont placés pour au final donner un film allusif, qui ne met jamais le doigt spécifiquement sur une chose en particulier, mais si on envie de s’ouvrir un peu, on voit rapidement de quoi ça parle. Les différents visages du deuil, la peur de la différence ou la résistance au changement… Au final, c’est probablement une espèce de buffet qui ressemble au livre avec de multiples personnages, sans qu’aucun ne soit le principal.

Toujours filmer la réalité telle qu’elle est... dans les marges.

Plusieurs thèmes qui te sont familiers sont développés dans le film, outre l’hiver, la marginalité et la peur de l’autre… Est-ce important de te replonger dans des thèmes avec lesquels tu te sens à l’aise?

Tu sais, quand tu as fait onze film en treize ans, le sentiment d’urgence de tourner n’a plus rien à voir avec celui qui t’animais à tes débuts. Il faut trouver de nouveaux moteurs. Ce que j’ai fait c’est de replonger dans mes films préférés, et j’ai réagi à des gaffes faites ici et là dans certains autres films, notamment Boris sans Béatrice. Avec Répertoire..., je suis revenu a quelque chose de moins léché, notamment avec la direction photo [le directeur photo François Messier-Rheault a utilisé de la pellicule 16 mm, NDLR]. Ça m’a ramené vers l’aventure du tournage de Curling, qui a eu beaucoup plus de succès. C’est tout à mon honneur d’être sorti de moi-même avec Boris, mais ça fait tellement de bien de revenir à quelque chose de confortable, tout en étant certain que Répertoire... ne copie pas Curling. Mais c’est sûr que ce qui me manque c’est la spontanéité des films sans scénario. Là j’étais dans une grosse production, mais avec beaucoup moins de carcan. Il n’y avait pas de découpage technique précis, je ne voulais pas de lourdeur. La forme est moins autoritaire. C’est aussi un film plus québécois, ça parle beaucoup de nos peurs, de nous…

Et la mairesse... comment ne pas immédiatement penser à la mairesse de Lac-Mégantic

... Colette Roy-Laroche! C’est exactement mon inspiration! des gens ordinaires qui doivent sortir de leur zone de confort face à l’imprévu. Je ne la voulais pas trop colorée, pas trop de caricature, mais quand même un peu colorée… la mairesse avec sa bouteille jamais très loin. Je ne veux pas que ce soit trop comique, mais avec j'aime mettre une touche de pince-sans-rire dans mes histoires. Ce qui était difficile avec les personnages, c’est que j'en ai dix et qu’ils ont tous un rapport différent avec les événements qui se déroulent dans le village. Chaque personnage me donne un peu de sa vie, mais je n’ai pas le temps de les explorer, ce sont plus des archétypes d’une idée plus que des personnages...

Et ton personnage de Adèle, il vient d’où?

C’est un peu l’idiot du village qui a tout compris, le carrefour de toutes les peurs, avec une touche un peu mystique… elle n’en peut tellement plus de ces événements qu'elle choisi d'aller se délivrer dans les airs. C’est une naïve au sens littéral du terme. Ce personnage c’est aussi pour moi l’occasion de redire « assez du cinéma d’explication... ». On a tellement peu de cinéma de sensation au Québec! On le voit en ce moment avec La grande noirceur de Maxime Giroux, soit on crie au génie soit on dit qu’on ne comprend rien. On n’en fait tellement peu de ce cinéma au Québec, qu’il faut le défendre à tout prix.

Entrevue réalisée le 29 janvier 2019, à Montréal

Synopsis officiel: À Irénée-les-Neiges, bourgade perdue de 215 habitants, Simon Dubé perd la vie en voiture. Choqués, les gens n’osent pas trop parler des circonstances de la tragédie. Dorénavant, pour la famille Dubé, la mairesse Smallwood et une poignée d’autres, le temps semble se rompre et les jours flottent sans fin. Quelque chose s’abat lentement sur la région. Dans ce deuil et ce brouillard, des étrangers sont vus. Qui sont-ils? Que se passe-t-il? - Avec: Robert Naylor, Josée Deschênes, Jean-Michel Anctil, Larissa Corriveau, Diane Lavallée, Rémi Goulet, Rachel Graton, Jocelyne Zucco, Normand Carrière et Hubert Proulx. - Produit par Ziad Touma de Couzin Films, Répertoire des villes disparues est écrit et réalisé par Denis Côté, qui s’est librement inspiré du roman éponyme de Laurence Olivier publié aux Éditions Les Herbes rouges.

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À propos de Denis Côté

Depuis 2005, Denis Côté jouit d’une solide réputation comme cinéaste indépendant sur les scènes locale et internationale. Après la réalisation de nombreux courts métrages et de quelques années comme journaliste et critique de cinéma (1995-2005), il passe au long métrage avec Les états nordiques. Récompensé à Locarno et ailleurs, il poursuit avec Nos vies privées (2007), qui refait le tour des festivals internationaux. En 2008, Elle veut le chaos repart avec le prix de la mise en scène au même festival de Locarno. Carcasses (2009) est présenté à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes. En 2010, Curling remporte les prix de mise en scène et d’interprétation masculine au Festival de Locarno. En 2012, Denis Côté propose un film-essai intitulé Bestiaire, qui remporte un succès d’estime inespéré (plus de 100 festivals internationaux) et sort en salle en France, aux États-Unis et en Allemagne. En 2013, Vic+Flo ont vu un ours est lancé en Compétition à la prestigieuse Berlinale. Côté y remporte l’Ours d’argent de l’Innovation (Alfred-Bauer-Preis) et Pierrette Robitaille triomphe comme meilleure actrice à la soirée des Jutra. En 2016, Boris sans Béatrice est également lancé à la Berlinale. Denis Côté enchaîne en 2017 avec Ta peau si lisse, un essai sur le monde du culturisme lancé en Compétition internationale au 70e Festival de Locarno. Depuis 2009, l’œuvre de Denis Côté a été l’objet d’une vingtaine de rétrospectives à travers le monde.

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