Vieillesse, tabous et cinéma : Fernand Dansereau se livre en 5 questions
Vendredi, 10 novembre 2017
La Tournée du cinéma québécois parcourt les routes du pays afin de diffuser des films d’ici, d’un océan à l’autre. Des artisans du milieu cinématographique font également le trajet pour aller présenter leurs œuvres et aller à la rencontre des cinéphiles. Profitant de ces précieuses visites, nous vous présenterons pour la saison 2017-2018 de la Tournée, une série d’entrevues intitulées : « 5 questions à … ».
Nous nous sommes ainsi entretenus avec le cinéaste Fernand Dansereau, à l’occasion de la projection de son documentaire L’ÉROTISME ET LE VIEIL ÂGE dans le cadre du Festival Objectif Cinéma du MIFO. Dans une entrevue généreuse et plutôt personnelle, le réalisateur témoigne du processus de création de son dernier long métrage tout en nous livrant sa vision de la vieillesse et du cinéma.
Tout d’abord, bienvenu en Tournée M. Dansereau, c’est un grand plaisir de vous accueillir à l’occasion de la projection de L’érotisme et le vieil âge à Orléans. Quel a été l’élément déclencheur pour vous lancer dans la création de ce nouveau film ?
J’ai eu envie de faire l’exploration des problèmes de vieillissement à travers des documentaires. Le documentaire qui devait suivre Le vieil âge et le rire (2012), c’est un documentaire qui aurait porté sur l’engagement citoyen des personnes âgées. Je trouve qu’il y a un certain nombre de personnes âgées qui essaient de rester engagées politiquement et socialement. C’est bon pour les vieux de faire ça et je me dis que ça peut être bon pour la société, mais j’ai été incapable de trouver un diffuseur qui acceptait le projet. [...] Un soir, j’ai dit à ma compagne : je vais le prendre par le sexe. Et effectivement, j’ai réécrit le projet et puis ça a marché ! On a trouvé un diffuseur et c’est comme ça que je me suis engagé dans le projet de L’érotisme et le vieil âge (2016). Après ça, je me suis rendu compte que je m’étais embarqué dans une affaire beaucoup plus dangereuse que je pensais ! Il fallait que je négocie avec ma propre pudeur et avec celle des gens que j’approchais pour témoigner. Mais au bout du compte, ça s’est bien déroulé.
Quelles ont été les premières réactions des personnes à qui vous avez proposé une participation à votre documentaire ?
Les premières personnes à qui j’ai commencé à parler de ça avec timidité ce sont ouvertes et ça m’a surpris. Je m’attendais à des réactions de défenses, mais les gens disaient : « ben non ! », et ils se mettaient à me parler. Ce qui m’a surpris, c’est que j’ai senti qu’au Québec la parole s’est vraiment libérée sur toute la question de la sexualité. Même chez les personnes âgées qui ont vécu autrefois beaucoup de censure là-dessus. Il y a vraiment un progrès de la conscience. [...] La plupart des gens ont accepté tout de suite de me parler.
Avec une carrière amorcée en 1955, votre nom est associé à plus de 250 œuvres. À quoi carburez-vous, encore aujourd’hui, après un parcours impressionnant comme le vôtre ?
Je suis tombé dans le cinéma complètement par hasard, je n’avais pas choisi ça. J’étais journaliste au Devoir, puis j’ai été congédié à cause d’une grève. Ensuite, le cinéma m’a appelé. Je n’ai cependant pas abordé le cinéma avec l’idéal de faire un grand film et d’être un grand cinéaste. C’est arrivé dans ma vie et je m’en suis servi pour vivre ce que j’avais à vivre. Je m’en suis servi pour examiner les questions qui m’occupaient vitalement et aussi pour développer des outils : je suis plutôt timide, alors le cinéma m’a donné des outils pour être en relation avec le reste du monde. Et ça, ce sont des pulsions qui ne peuvent pas mourir. Jusqu’à la fin de ma vie, je vais rester en besoin de relation avec les autres, je vais rester en questionnement par rapport à la vie et par rapport à toutes sortes de choses. Le moyen le plus facile, pour moi, de négocier ce besoin, c’est d’utiliser le cinéma. Bien entendu, je vois venir le jour où je vais être obligé d’arrêter de travailler, mais je ne sais pas encore ce que je vais faire, comment je vais continuer après... On verra quand ça se passera !
[...] Je suis de tempérament plutôt optimiste : c’est dans ma nature, mais je le suis aussi par choix. C’est important de faire les constats les plus justes ou les plus radicaux ou de tenir les discours les plus cruels, si nécessaires, face à la réalité, mais après ça, il faut avoir le courage de rester. En ce sens, c’est ce qui définit ce que je fais. J’aborde toutes les questions de vieillissement alors ça ne m’intéresse pas de juste démissionner et de dire « au plus vite la pilule de suicide parce que là c’est trop difficile de vieillir ». Je trouve qu’il faut chercher la lumière dans le vieillissement. J’en trouve un petit peu, mais j’en cherche encore plus !
Par ailleurs, j’ai un troisième film que j’essaie de mettre sur les rails et qui porte encore sur le thème du vieillissement parce que c’est ce qui m’occupe. Le titre temporaire c’est : « Le vieil âge et l’espérance ». Mais au fond, c’est l’idée d’être face à l’angoisse de la fin, l’angoisse de la mort et surtout l’angoisse de toutes les pertes qui te précède. La question que je me pose c’est quand le corps lâche de partout et parfois même l’esprit, y’a-t-il moyen de garder de l’espérance ? Je suis à la recherche d’une sorte de spiritualité laïque parce que ce qui m’est proposé par les religions ça ne me satisfait pas. Alors c’est un peu de ça que je vais traiter... Après on verra si ce sera mon dernier film.
Et aujourd’hui, quel genre de cinéma vous intéresse ou vous interpelle en 2017 ?
Il y a quelque temps, j’ai vu dans la même semaine le beau conte de Luc Picard, Les rois mongols, et le film de Denis Villeneuve Blade Runner. Et là je me suis dit que le projet d’il y a 50 ou 60 ans de faire naître un cinéma québécois, eh bien c’est fait. Le film de Luc Picard, [...] représente un cinéma qui est accompli, qui fonctionne et qui arrive à bien faire ce qu’il veut faire. Ces dernières années, je trouvais que le long métrage québécois de fiction restait quand même un peu alourdi par la tradition documentaire qui a longtemps fait la force du cinéma québécois : on sentait qu’il y avait toujours une sorte de besoin de trame documentaire dans les récits cinématographiques que l’on proposait. Mais quand tu arrives avec le film de Luc Picard, tout à coup, ce n’est plus là. Le film a quelques petites informations documentaires, mais il vit comme un film libre de fiction : il raconte une belle histoire et ça, ça me fait plaisir. Pour ce qui est du film Blade Runner, au début je me disais que c’était un peu triste que finalement nos meilleurs cinéastes soient obligés d’aller tourner à Hollywood. Comme si, finalement, ils ne faisaient plus du cinéma québécois et qu’on laissait échapper notre énergie collective, qu’elle se dissipait... Je suis revenu un peu sur cette pensée-là. J’ai admiré le film, et [...]en fin de compte, on peut dire que Blade Runner ça reste un film québécois en quelque sorte, dans sa facture... Donc quand j’ai vu ces deux films-là, je me suis dit que ce que ma génération espérait réussir, on l’a réussi !
En terminant, on parle beaucoup ces dernières années du lien important à faire entre l’éducation et le cinéma. Si vous étiez ministre de l’Éducation pendant une journée, qu’est-ce que vous feriez pour le cinéma québécois ?
Si c’était aujourd’hui, je mettrais beaucoup d’emphase sur l’éducation et les médias, pas nécessairement uniquement sur le cinéma. C’est sûr que c’est très important de développer une culture cinématographique chez les jeunes, pour eux et pour le développement du cinéma québécois, mais la question la plus vaste c’est : « Qu’est-ce que les jeunes générations vont en faire ? » Avec les médias qui se déploient actuellement, sur lesquels il y a si peu d’emprise, j’ai l’impression que c’est une explosion de possibilités et de toutes sortes de formes, mais c’est un peu la foire d’empoigne. D’abord, comment va-t-on trouver juste les moyens de financer des productions là-dedans ? Comment va-t-on créer des canaux réguliers de consommation ? Comment est-ce qu’on va rétablir le dialogue entre le créateur et le récepteur, autrement que par juste des dénonciations à l’aveuglette? [...] C’est important que les jeunes générations fassent une grande exploration à la fois du faire et de la théorie là-dessus. Quand ma génération est arrivée à l’Office national du film du Canada (ONF), on a été forcé d’inventer ce qui s’est appelé le cinéma direct. Ça ne s’est pas fait tout seul et ça ne s’est pas fait rapidement. Il a quand même fallu élaborer une espèce de cadre théorique, une sorte de projet formel, pour arriver à définir une forme de cinéma qui a bien vécu, qui s’est bien développée et qui s’est répandue à travers le monde. J’ai l’impression maintenant qu’on a de nouveau ce besoin-là face aux nouveaux médias, face à tout l’univers du numérique. C’est un grand défi.
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Photo d’en-tête : Vanessa Dewson